Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A SAINT OUEN LES DESSOUS DE LA VILLE
4 mai 2007

UN GRAND MALHAISE

« On est pointés du doigt »

Portrait d’une famille juive en banlieue rouge par Eve Bonnivard

Extrait de L’Arche n° 546-547, août-septembre 2003
Numéro spécimen sur demande mailto:info@arche-mag.com

« Où est notre place ? On se pose des questions qu’on ne se posait plus. On a pensé que notre place était en France quand on a quitté la Tunisie. Notre vie était faite. Et maintenant voilà qu’on va être obligés de partir d’ici. C’est injuste. » Simon (1) a pris la décision de quitter la ville. Celle où il vit depuis 30 ans. Muriel, sa femme, y est née. Leurs trois enfants sont allés à l’école publique. Elle est employée, lui ouvrier, mais ils vivent plutôt bien dans cette banlieue du nord de Paris. Ils occupent dans un logement HLM du centre ville un bel appartement, avec un grand balcon où Simon aime à jardiner. Mais ils sont prêts à se contenter de beaucoup moins, « si l’entourage est viable ». Car, pour eux, vivre à Saint-Ouen est devenu difficile.

Ils ne sont pas nombreux, les Juifs de Saint-Ouen. Trois cents familles, sur une population totale de 42 000 habitants. Mais ils ont le sentiment d’être de trop. « Avant, Saint-Ouen était une petite ville sympa où il faisait bon vivre, un village. Toutes les communautés vivaient tranquilles ensemble », raconte Muriel.

Simon et Muriel ne crient pas au loup. Ce couple discret parle d’une « hostilité diffuse » et aussi d’actes ouvertement racistes. Ce sont des regards de travers, « quand on demande une carte de téléphone prépayée pour notre fils qui habite en Israël ». Des réflexions déplacées : Simon accueilli d’un « salut le youpin quand il pointe au travail. Des faits plus graves aussi, qu’ils relatent simplement, sans dramatiser. « À l’école de Léa, la petite dernière, la maîtresse a donné un travail à faire sur un pays du monde. Un copain a dit : Léa, elle va parler d’Israël. Et la classe a fait : “hou hou”. »

L’année dernière, leur fils cadet, en première au lycée public de Saint-Ouen, a lu sur sa table : « Julien est un sale Juif ». L’incident s’était déjà produit au collège. Cette fois, ses parents l’ont changé d’établissement. En 2001, Julien a été agressé par un groupe de jeunes qui l’ont jeté sur les rails du métro lorsqu’ils ont vu la lettre hébraïque qu’il portait en pendentif.

Comme d’autres villes de la banlieue parisienne, Saint-Ouen a eu son lot de violences antijuives. En octobre 2000, l’école juive Gaston Tenoudji a été la cible de trois cocktails Molotov. Ses murs en portent encore la trace. Depuis, affirme le responsable de la communauté juive, le docteur Haï Séroussi, ses élèves sont « tout le temps embêtés » par des jeunes du lycée public tout proche. Les Juifs ne mettent plus la kippa qu’à l’intérieur de la synagogue aménagée dans les sous-sols de l’école juive.

Le maire de la ville, la communiste Jacqueline Dambreville, a écrit au préfet et assuré la communauté juive de son soutien. « Des gentillesses, mais les actes ne suivent pas », déplore M. Séroussi. Et la communauté assure elle-même la sécurité le jour de Kippour. Selon M. Séroussi, la police effectue des rondes mais, au motif qu’elle n’a pas assez d’effectifs, déclare ne pas être en mesure de poster en permanence des hommes devant l’école ce jour-là.

Confrontée à l’accroissement des actes antisémites, la mairie joue l’apaisement. « La municipalité entend faire tout son possible pour mettre en avant ce qui rapproche les gens, les communautés », peut-on lire dans le journal municipal Saint-Ouen ma ville. Mais elle ne semble pas avoir conscience qu’elle souffle aussi sur les braises. Activement engagée « en faveur de la paix au Proche-Orient », elle milite en fait pour la seule cause palestinienne. Saint-Ouen ma ville se fait ainsi largement l’écho de l’activisme municipal : voyage d’élus dans les Territoires occupés, séjour de jeunes Audoniens dans le camp de réfugiés de Balata qui est jumelé avec Saint-Ouen, création d’un poste d’« adjoint chargé des relations internationales » avec pour mission principale de développer les échanges avec « la Palestine », soirées-débats à l’initiative de SOS-Palestine (une association locale subventionnée).

Dans un contexte où les sensibilités des communautés concernées par le conflit proche-oriental sont à fleur de peau, certaines expressions peuvent faire mal. « Les Juifs de Saint-Ouen se sont sentis meurtris par votre dernier reportage de votre voyage à Gaza », a écrit le responsable de la communauté au maire. « Votre article est une véritable pédagogie pour réarmer le bras, s’ils en avaient besoin, des lanceurs de cocktails Molotov qui ont déjà sévi dans notre ville. »

« La présence militaire est permanente, partout, c’est une ambiance de mort », déclarait ainsi Jacqueline Dambreville en janvier 2002 à Saint-Ouen ma ville, de retour d’un séjour dans la bande de Gaza avec deux autres élus. Pour l’adjointe à la jeunesse et l’enfance, Catherine Després, « la situation rappelle l’apartheid. Essayons d’imaginer Saint-Ouen totalement ceinturé par des militaires qui exigent des autorisations pour sortir ou entrer dans sa propre ville ? Comment peut-on vivre à ce point humilié ? »

À Saint-Ouen, la mobilisation en faveur de « la Palestine » est générale. « Tout le monde s’y met, témoigne Muriel. Les commerçants mettent au carreau des affiches de SOS-Palestine appelant à manifester en soutien aux Palestiniens. » Sur l’initiative de dix jeunes du Cap J, un service de la jeunesse subventionné par la ville, des fonds ont été collectés pour le camp de Balata à l’aide de tirelires placées dans une trentaine de commerces.

Muriel juge irresponsable ce parti pris pro-palestinien sous les auspices municipaux. Assise sur le canapé en cuir jaune du salon, une pile de vieux numéros de Saint-Ouen ma ville sur les genoux, elle cache mal sa colère : « ”Ambiance de mort”, “territoire d’apocalypse”, “ce peuple vit dans l’humiliation permanente”, “Sharon est un boucher”...C’est de la provoc ! » À ses côtés, Simon hoche doucement la tête : « Vous vous rendez compte, ce que peuvent penser les gens qui lisent ça quand ils ont un Juif en face d’eux ? Pour eux, vous êtes les envahisseurs. On est pointés du doigt ».

Simon et Muriel en savent quelque chose. Seule entre toutes les boîtes à lettres de l’immeuble, la leur est défoncée. Un jeune voisin s’est acharné contre eux : il a craché sur leur porte, les a harcelés par téléphone en pleine nuit, a menacé de mort leur fils Julien, et même tagué des croix gammées sur les murs du parking collectif. Le couple a fini par déposer une plainte au commissariat, et le voisin s’est calmé. Simon ne doute pas que le climat qui règne à Saint-Ouen a favorisé le passage à l’acte : « Il se croit tout permis car il se sent fort ici. On est les seuls Juifs du bâtiment. Il vit à Saint-Ouen, il connaît la politique de la ville. »

Le couple parle sans haine. « On a vécu ensemble pendant deux mille ans. Pourquoi ne peut-on plus vivre ensemble ? », déplore Simon. Né en Tunisie, il parle le français « avec l’accent d’Enrico », couramment l’arabe, et pas un mot d’hébreu. « Nos amis musulmans sont d’accord avec nous, renchérit Muriel, née en France de parents tunisiens. Ils ont peur pour leurs enfants, car certains Maghrébins sont nocifs pour les autres. »

Pour le couple, c’est la deuxième génération qui pose problème. « La première génération s’est intégrée, mais la deuxième revendique une identité islamiste », pense Muriel, qui cite le cas « de copains de nos enfants [qui] se sont laissé pousser la barbe ». Simon constate de son côté que « de plus en plus de jeunes femmes sont voilées, comme au bled. Elles ne sont pas forcément pratiquantes. C’est pour marquer une identité ».

Ce couple de Juifs peu pratiquants n’attend rien de la communauté. « Ils sont devenus sectaires, lâche Muriel. Si on va pas à la syna régulièrement, on est mal vus. » Amer, Simon raconte que « lors de la bar-mitsva de mon fils, on n’a senti aucune chaleur de la part du rabbin. Pire, comme je ne connaissais pas le rite, ils se sont foutus de moi. Ma femme l’a vu, de l’étage où elle se trouvait ». Se sentent-ils tout de même représentés par le responsable de la communauté, M. Séroussi ? Simon hausse les épaules : « Il fréquente les Juifs d’en haut. Il ne sait pas ce que nous, les gens d’en bas, on vit au quotidien. Il a pas d’enfants dans le public, lui ».

Le couple a fait une demande de logement social à Paris. Ils attendent « des propositions décentes, dans des quartiers où on puisse vivre sans retrouver le même phénomène qu’on rencontre ici ». Muriel rêve d’un immeuble « avec des gens comme nous, pour qu’on se sente moins isolés ». Et elle qui a toujours défendu l’école publique souhaite maintenant pour sa fille un lycée juif parisien. « C’est malheureux d’en arriver là. »

Simon se retourne sur ce qu’il a laissé en Tunisie, ce pays qu’il dit n’avoir « jamais quitté dans sa tête ». Il parle des tombes de ses ancêtres détruites, des cimetières juifs transformés en jardins. « On retrouve des momies qui ont des milliers d’années. Mais nous, les Juifs, on n’a pas le droit de laisser des traces. À chaque fois, on nous a mis dehors. Alors qu’ils nous disent où est notre terre. On vient bien de quelque part. Si Israël n’est pas notre terre, où est notre terre ? On est quand même un peuple, on est des êtres humains, on est vivants, et il faut qu’on aille vivre où ? On a pensé que notre place était en France. On s’est adaptés, pensant que la France était une terre d’accueil. Même si on va en Israël, si ça se trouve, on ne se sentira même pas chez nous. On a toujours vécu là. On cherche notre maison. On a l’impression que les valises ne sont pas posées. Est-ce que quelqu’un veut bien nous dire où est notre terre ? On a bien un endroit. Personne ne veut répondre à cette question. »

Il n'y a que le journal de la PRAVDA pour laisser entendre que tout va bien à SAINT OUEN , la réalité est toute autre

TROUVEZ VOUS NORMAL ?
PENSEZ VOUS QU'UNE MAIRIE DOIT PREEMPTER SI LE PRIX NE LUI CONVIENT PAS ?
NON
OUI

Résultats

Publicité
Commentaires
A SAINT OUEN LES DESSOUS DE LA VILLE
Publicité
Derniers commentaires
Publicité